Madame Sophie Macquart-Moulin Procureure de la République près le Tribunal de Grande Instance d’Auxerre répondant à la demande de VIVRE L’YONNE écrit : « Je vous livre partie de mon discours sur le non dépôt des comptes, que vous pouvez utiliser pour un article.«
Elle s’adresse aux Magistrats du Tribunal de Commerce d’Auxerre à l’occasion de l’audience solennelle de janvier 2018.
(…) « Vous vous assignez résolument la mission de prévenir au tant que possible les difficultés des entreprises,
- en cherchant à éviter des liquidations judiciaires prononcées ab initio quand la situation économique est déjà irrémédiablement compromise.
- en vantant le mérite des procédures de prévention demandées par les chefs d’entreprise eux-mêmes.
Au cours de l’année 2017, votre juridiction a maintenu sa démarche pro-active à l’égard des chefs d’entreprise: si ces derniers ne viennent pas au tribunal de commerce de leur propre initiative, le tribunal doit aller au devant d’eux, d’autant plus si des emplois sont en jeu afin de leur suggérer des mesures de prévention ou une déclaration volontaire d’état de cessation des paiements. Et en cas d’échec de la prévention, vous n’hésitez pas à saisir le Ministère public.
En 2018, je demeurerai à votre écoute en matière de veille des difficultés de ces entreprises.
Je continuerai également de mener une politique pénale forte en matière de non dépôt des comptes de concert avec vous.
Votre juridiction est en effet très soucieuse de se donner les moyens de repérer les entreprises susceptibles d’être en difficultés, par l’analyse de divers critères objectifs, véritables clignotants rouges, parmi lesquels figurent
- l’existence d’injonctions de payer délivrées contre l’entreprise,
- la perte de la moitié des capitaux propres,
- les inscriptions de privilèges (dont je ne peux que rappeler l’importance aux organismes publics et sociaux, y compris pour les artisans non inscrits au registre du commerce et des sociétés)
- ainsi que l’absence de dépôt des comptes,
Veiller au dépôt des comptes n’est que le rappel d’une obligation légale, qui s’impose à tous, et dont le greffier du tribunal de commerce de parvient pas à obtenir le respect malgré de très nombreuses mises en demeure. (L’intervention du parquet a ainsi pour but de rappeler que cette obligation est sanctionnée par l’article R.247-3 du code de commerce; qu’il s’agit d’une contravention de la 5ème classe, punie d’une amende de 1500 euros).
Si cette obligation est peu respectée en France, d’autres parquets à l’instar de celui d’Auxerre mènent une action forte en ce domaine au regard des intérêts en jeu. Il ne s’agit pas de faire preuve d’une fermeté inopportune et de chercher, dans un département qui connaît des difficultés économiques, à nuire aux intérêts des chefs d’entreprise qui souhaitent se préserver de la concurrence en dissimulant leurs réussites, alors qu’ils peuvent bénéficier de la confidentialité ! J’en veux pour preuve le fait que j’ai procédé à de très nombreux classements sans suite en cas de régularisation du non dépôt des comptes.
Veiller au dépôt des comptes c’est jouer un rôle d’aiguillon à l’égard d’un chef d’entreprise et lui rappeler l’importance de tenir avec rigueur sa comptabilité, boussole essentielle au maintien de son activité.
C’est veiller à ce qu’il soit incité:
- à redresser la barre avant que ses difficultés ne s’aggravent,
- à solliciter le bénéfice de procédures amiables ou l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire avant qu’il ne soit trop tard,
- et accessoirement à procéder aux formalités de radiation ou de mise en sommeil de son entreprise si cette dernière n’a plus d’activité
Veiller au dépôt des comptes, c’est également prévenir ou mettre à jour l’existence d’infractions commises par des dirigeants indélicats, pour mieux protéger ceux qui gèrent honnêtement leurs entreprises et les créanciers dont il convient de préserver la confiance.
Au risque d’être davantage encore impopulaire dans l’Yonne, je rappelle qu’ à cette obligation de dépôt des comptes sociaux, et depuis le 2 août 2017, s‘ajoute désormais l’obligation qui est faite à chaque dirigeant de société de déclarer sur le registre des bénéficiaires effectifs, les personnes qui détiennent, directement ou indirectement, plus de 25 % de participation dans le capital ou des droits de vote, ou qui exercent un contrôle sur les organes de direction ou de gestion de la société (L.561-46 et R.561-5- et suivants du Code monétaire et financier). Cette obligation, dont le non respect est un délit puni d’une peine de 6 mois d’emprisonnement, doit permettre aux autorités de police ou de renseignement financier, dans le cadre de leurs mission de contrôle ou d’enquêtes, de mieux lutter contre le blanchiment d’argent, la fraude fiscale et le terrorisme. (…)